Guide Pratique pour les Médecins du Travail [Mise à jour Mars 2021]

Vous êtes médecin du travail et vous recevez de nombreux salariés se disant « harcelés » ou en souffrance au travail. L’entretien clinique avec ce type de salariés est une épreuve car il nécessite:

une écoute compréhensive, mais pas compassionnelle. Il faut être aux côtés du salarié, pas de son côté.

du temps, car cet entretien aura des visées multiples : comprendre, contextualiser, prendre en charge. Pour cet entretien prolongé, il faut un rendez-vous sans contrainte de temps dans votre agenda professionnel. Les informations que vous allez recueillir se capitaliseront pour les salariés de la même entreprise et pour des cas identiques.

Un déroulé spécifique qui peut s’appuyer sur celui que nous vous proposons.

Cet entretien doit vous permettre de sortir de l’interprétation psychologisante (deux salariés qui ne s’entendent pas, un supérieur pervers narcissique..) et donc du registre accusatif, pour s’intéresser au travail. La dégradation des relations, de l’organisation du travail, de la santé du salarié fournissent des éléments permettant de comprendre pourquoi il se vit comme « harcelé ». Il faut rappeler que depuis la promulgation de la loi de modernisation sociale le harcèlement moral n’est plus seulement une « notion psychologique » mais un délit. Seul le juge peut qualifier une situation de harcèlement moral. Alors, prudence…

Pour autant, c’est un salarié en souffrance qui est devant vous, qu’il faut absolument soustraire au contexte de travail pathogène. Il faut donc l’adresser à son médecin référent avec un courrier et si nécessaire avec un avis d’inaptitude temporaire.

Cet arrêt-maladie ne doit pas être un temps mort mais une période de recul permettant de soigner, de comprendre, d’élaborer des solutions. En proposant au salarié de venir vous voir régulièrement dans le cadre des visites de pré-reprise vous pourrez:

1. vérifier la cohérence de sa prise en charge (médicale, psychothérapique) et mesurer l’amélioration de son état physique et psychologique.

2. évaluer sa situation professionnelle que vous êtes le seul à pouvoir connaître de l’intérieur et donc définir une stratégie médicale, professionnelle, juridique :

– De la plus simple, le retour sur le même poste après élucidation des causes de la dégradation des conditions de travail, ou une mutation, un reclassement si le salarié est d’accord.

– Aux plus complexes comme dans le cas d’un retour impossible sur le même poste et donc le souhait du salarié de voir rompre son contrat de travail par rupture conventionnelle ou négociation, ou prise d’acte judicaire de la rupture. Enfin, si la situation est bloquée, de prononcer une inaptitude à tout poste pour aboutir à la rupture du lien réel et symbolique avec l’entreprise.

La décision d’inaptitude peut être contestée devant le Conseil des Prud’hommes.

 

3. les données cliniques issues de cette prise en charge peuvent être éclairantes sur l’état d’une entreprise et déboucher sur une alerte.

Voir nos modèles de lettres progressives du médecin du travail au chef d’entreprise.

Cette prise en charge ne peut être totalement efficace que si les acteurs de prise en charge du salarié coopèrent : médecin généraliste, médecin du travail, psychiatre, psychothérapeutes. Cette prise en charge se fonde sur le secret médical absolu et l’indépendance professionnelle du médecin du travail.

Devant des cas trop complexes, le recours aux consultations de pathologies professionnelles ou aux consultations souffrance et travail devient nécessaire.

Dans un deuxième temps, votre fonction est de passer de l’individuel au collectif :

L’alerte auprès de l’employeur est nécessaire mais elle est la marque de l’échec de la prévention.
Informer et sensibiliser la direction et le CSE lorsque certains indicateurs objectifs de souffrance au travail augmentent.
Définir les risques potentiels à travers l’analyse du travail en coopération avec la Direction (fiche d’entreprise) et les membres du CSE dans un souci de prévention primaire.